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J'ai un corps & Je suis un corps

  • Amine
  • 25 nov. 2016
  • 4 min de lecture

"accompagner le corps que l'on est" Cette phrase m'est venue après la lecture d'un livre de Karlfried Graf Dürckheim (diplomate psychothérapeute et philosophe allemand), intitulé "L'esprit guide". Dans ce livre, l'auteur discerne deux manières de vivre son corps : "j'ai un corps" et "je suis un corps".

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Je discutais avec un ami hier après-midi, un ami thésard, enseignant d'informatique, qui n'est pas forcément très familier des pratiques corporelles ou psycho-corporelles. Je lui exposais ma pratique et le propos de mon accompagnement. Je lui disais : "ce que je propose, c'est de permettre à chacun de se rapprocher de ses ressentis corporels, de développer sa sensibilité corporelle". D'habitude quand je dis ça, la question qui m'est posée juste après, c'est : "d'accord, mais dans quel but ?" Et je suis toujours un peu embêté à ce moment là. Cette question me met mal à l'aise, pourtant, elle est tellement importante et pragmatique. Alors je réponds : être mieux dans son corps, vivre moins de tensions, se libérer de la douleur, etc. Mais ces réponses ne me satisfont pas... Lors de la discussion avec mon ami, il s'est passé autre chose. Après lui avoir exposé le propos de ma pratique, il y a eu une pause. J'ai failli briser le silence en disant : "et c'est là que tu me demandes : mais à quoi ça sert ?" Mais c'est mon ami qui a parlé en disant : "oui, en fait c'est essentiel de se rapprocher de ses ressentis corporels, ça nous permet de mieux percevoir notre monde, d'être plus proche de ce qui nous entoure, de mieux comprendre notre vie, vu qu'on est presque qu'un corps". Ce "presque" m'a interpellé, mais nous ne l'avons pas approfondi. Ce qui m'a touché c'est : "on est un corps". D'habitude, j'entends plus souvent : "j'ai un corps".

M. Dürckheim, cité plus haut, met le focus là-dessus de manière intéressante. Avoir un corps, c'est disposer d'un outil. Cet outil me sert au quotidien à faire ce que j'ai à faire : aller au travail, conduire, bricoler, faire le ménage, voir mes amis... Lorsque ce corps, cet outil, dysfonctionne, j'ai très envie qu'il refonctionne, car je suis pressé de reprendre mes activités. Je vais donc chez le docteur ou autre afin d'entamer les réparations nécessaires, dans le but de pouvoir reprendre mes activités habituelles, si possible, au plus vite. C'est une relation "utilitaire" avec le corps. Être mon corps, c'est considérer que mon corps exprime mon vécu personnel, qu'il y'a un lien entre mon vécu intime et mon vécu corporel. Qu'au travers de mes gestes, mes postures, mes ressentis j'exprime une part de moi, je suis en contact avec moi-même. Être mon corps, c'est être attentif à la relation entre la manière dont je vis et la manière dont mon corps vit. C'est observer et faire des liens de plus en plus subtils entre les événements de ma vie et ce que je ressens comme sensations corporelles. Ce qui est beau dans ce discernement de ces deux manières de vivre, c'est qu'il n'a pas qu'un enjeu individuel. Il a aussi une portée sociétale. En effet, notre société est arc-boutée sur une très vieille dualité, pas tout à fait résolue encore (voire pas du tout résolue) : la dualité corps-esprit. Certains courants religieux et philosophiques ont eu tendance à attribuer une forme de pureté à l'esprit tout en considérant le corps comme quelque chose de sale, source de souffrances et de douleurs, quelque chose dont il fallait se libérer. Ce legs philosophique poursuit son oeuvre et peut s'exprimer au travers de nos modes de vie, et surtout de notre relation à notre corps. Si je suis séparé de ce corps, ce corps est un objet qui, au mieux, m'appartient, au pire, m'est étranger. Chercher à s'extraire des contraintes qu'imposent notre corps en explorant l'esprit ou la pensée pure est riche d'expériences. C'est une recherche fertile qui nous a permis la découverte et l'élaboration des magnifiques mathématiques puis, beaucoup plus tard, la création de l'ordinateur, et aujourd'hui, la création de la réalité virtuelle et finalement la poursuite de ce mythe de la virtualisation de la conscience (cf. courant transhumaniste). Mais gardons à l'esprit une réalité simple : notre corps est le fruit de milliards d'années d'évolution de la vie sur Terre.

Donc pour ce qui est du rêve poursuivi par ceux qui voudraient mettre la conscience dans un ordi, je ne sais pas si nous arriverons à créer un réceptacle à notre conscience qui soit aussi adapté que notre corps en quelques centaines d'années. M'enfin, d'accord, cela ne nous empêche pas d'essayer dans un coin de labo...mais juste dans un coin de labo, pas en grandeur nature avec l'humanité entière ! Car portons attention, quelques instants, aux conséquences de notre déconnexion d'avec notre corps. Au-delà du fait que nous perdons le lien avec une part de nous-mêmes, nous nous déconnectons également du monde qui nous entoure. Et c'est finalement toute la biosphère qui en paye le prix. Car notre corps est le véhicule de nos ressentis, nos ressentis sont le fruit de notre relation au monde, dont la Nature. Si je suis projeté dans une réalité virtuelle, déconnecté de mon corps, alors je suis déconnecté du monde et de la nature. Si je suis déconnecté de la nature, cela veut dire que je ne la considère pas dans les actes que je fais au quotidien, j'ignore son existence. Donc je la bafoue. Cela donne à grande échelle une société qui détruit la biosphère dans laquelle elle vit.

Mais revenons à nous-même, en tant qu'individu.

Et observons cet équilibre subtil qui existe entre deux dimensions de la vie : le monde virtuel de nos pensées et le concret de nos ressentis corporels. Et observons notre relation avec cet équilibre au quotidien.

Suis-je capable d'abandonner une histoire que je me raconte, pour seulement observer et sentir ce que je vis là tout de suite maintenant, dans mon corps ?

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Pour finir, pourquoi ne pas tenter l'expérience de penser ce qui suit : Je n'ai pas un corps, je suis mon corps. Nous ne possédons pas la nature, nous sommes la nature.

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